Plaid
Slip chaussette plaid
À ma table à écrire à la fenêtre
Pilou-pilou rose doudou et chauffage économe
La nuit en ville rend un ciel orangeâtre
Je triture une mèche
Pourquoi il faut la rage, dis
Pourquoi il faut la rage ?
Triture une mèche, tire
Tant sur mes cheveux qu’ils
Finissent par pousser, longs
Se colorent les ongles les cils et
Ce n’est pas vraiment les mots qui s’étirent mais
Que je tire sur une mèche, sur
Une cascade tombant sur mes reins qui
S’enroule autour de mon doigt de ma main
De mon bras de tout moi et
Je tire, me débats et je tire, je
Suis ce fil qui
S’en va vers
Quelque chose qui résiste
Je tire sur ce fil pris dans quelque chose qui résiste
– c’est mon crâne ; non, c’est plus loin :
C’est un mur
Et ce n’est pas moi qui le tire mais lui qui m’attire
C’est lui la gravité et mes muscles rompus
Mais tire tant que les briques
Se craquellent, des fissures s’agrandissent
Un petit peu
Ce
N’est pas un mur c’est mon crâne, c’est un œuf.
Ce sont les rires carnivores au-delà, les échos.
C’est comme se prendre un mur.
Pas l’impact mais la peur
La sensation seule en boucle abyssale
Comme rater une marche mais ne jamais tomber
C’est se prendre un mur
Et rester dedans
C’est ce qui crie dans le bide et les doutes
Mes désirs, ma survie
Même guérir à coup de trips chamaniques
Et de méditations débiles
Sont que des détours et recours juste
Pour apprendre à s’écouter
Mais toi t’écoutes rien
Les parasites des vitres, des reflets
De la neige brouillée sur l’écran
Seuls mes désirs ma survie
Pour t’écouter et le vouloir
« Toi » c’est l’idiot du miroir
Et « je » c’est encore un autre
Alors, pourquoi il faut la rage, dis ?
Pourquoi il faut alors que tout ce qu’on veut c’est
Un pilou-pilou rose doudou où c’est toi mon chauffage
Parce que
Ce sont les désirs qui sauvent et la rage qui fait manger
Le chemin à la machette en toi c’est une volonté
À travers les mots dans les briques
Ta force ton incarnation tes incantations
Déjà survivantes avant d’arriver au monde
Te dompter c’était le tutoriel
La carte s’est agrandie
Et peut-être que les fissures viennent
De ce qui martèle dehors
En chair et en cris.
La rage protège
L’éclosion
Que surgisse de l’œuf un char d’assaut
Il part et roule sur tout ce qui passe
Inarrêtable pimp cranté
Oui, nous sommes des chars
Et on roulera sur vos tronches
Vers les plages
On roulera sur vos langues
À en jouir tous ensemble on roulera
Jusqu’aux terrains vagues de conquêtes sereines
Où les chars se feront caravanes, reliques et vestiges
Entre les pâquerettes ignares que nous aurons protégées
Pour étendre nos sapes sur les bras des canons
Et que tout finisse par sécher
Pour se réchauffer dans les
Plaid.
Dans les nuits orange des villes, parfois, je sors
Je continue à tirer sur la mèche
Je colonise lentement les songes qui se terrent le jour
Je terrorise les fantasmes des monstres et des ombres
Pollinise l’inconscient collectif
Propage la rage de vivre
Protège le plaid où je t’attends à blottir
Parce que c’est tout ce qu’on veut
Et que ma rage est saine
Et que ma rage est tienne
Être en questionnement : se trouver en équilibre entre lieux protecteurs et mises en danger. Ce poème parle de la difficulté de l’affirmation, de la tension entre extraversion comme moyen d’expression identitaire et peur du regard des autres. Pour compléter cette lecture, nous vous conseillons « Sortir », un autre poème de Bastien Godard, publié dans la revue Biche fauve. Retrouvez ses autres écrits sur son site ou son compte instagram.
Salut, merci pour ce poème magnifique et touchant. Je sens les larmes montées à chaque lecture sans que ce sentiment… Lire la suite »
Magistral.. « oui, nous sommes des chars / et on roulera sur vos tronches », ah j’adore !