pluésie

POÈMES LGBTQI+

f e deux m e

femme

f e deux m e

une femme

qu’est-ce que c’est

être une femme

quand j’étais gamine

je pensais que c’était avoir les cheveux longs du rouge à lèvres et des gros seins

je pensais que c’était avoir des jambes fines un joli rire et du noir au coin des yeux

quand j’étais petite

je ne pensais pas devenir une femme

j’avais les cheveux courts pas le droit de me maquiller pas encore de seins

j’étais ce que les adultes appelaient trapue et j’avais perdu des dents de lait

je n’étais pas une femme

quand j’étais un peu moins petite

je pensais qu’être une femme c’était trop dur

je pensais que c’était garder le silence ne pas faire trop de vagues rester à ma place

ma place de femme

je ne pensais pas devenir une femme

j’avais l’envie de hurler de revendiquer de partir au combat j’avais la rage

j’avais pas les bons codes j’étais pas dans les cases ma place était ailleurs

je n’étais pas une femme

quand j’étais un peu plus grande

je ne savais plus ce que c’était, être une femme

j’étais perdue entre moi et ce qu’on attendait de moi

je n’étais ni très fine ni particulièrement belle ni vraiment discrète

j’avais un rire un peu fort des idées bien plus fortes et toujours la rage

je ne savais plus si j’étais une femme ou non

alors

j’ai tout envoyé chier

j’ai laissé pousser mes poils j’ai rasé mes cheveux j’ai porté la voix j’ai découvert qui j’étais

j’ai lu et vu et parlé et découvert et revendiqué et appris et contredit et ri et compris

que c’était le poids des regards des hommes de tous les hommes

qui était le souci

que c’était des siècles de codes d’interdictions de jugements de décisions de lois

d’interdictions de contrôle des hommes

sur nos corps de femmes

sur nos vies de femmes

sur moi, en tant que femme

qui étaient le souci

quand j’étais plus grande encore

j’ai compris ce que c’était être une femme

 

je suis devenue une femme à partir du moment

où mon regard est devenu plus important que celui des hommes

au moment-même où les hommes ont commencé à me regarder

j’étais arrivée à l’âge de maturation suffisante pour qu’on puisse exiger de moi des relations sexuelles et des attentions charnelles sans que la société ne considère que c’est anormal

j’étais arrivée en âge d’assumer mon statut de femme qui doit coucher faire le ménage les courses s’occuper de la maison faire des études mais pas trop surtout faire des enfants

j’étais arrivée à l’âge de comprendre que les clichés dont je riais étaient la réalité tout juste exagérée

je me souviens d’une amie à la fin du collège

qui m’a dit mot pour mot

je veux un homme qui me dit femme va faire la lessive un vrai homme quoi

elle avait quinze ans

en rentrant j’ai pleuré

c’était trop dur d’accepter que c’était ce qu’on attendait de moi

juste parce que je suis une femme

je me souviens d’un copain au lycée

qui m’a dit mot pour mot

si t’as pas de mec c’est parce que t’as pas le physique d’une nana qu’on doit protéger

les mecs ont besoin de se sentir viril à côté de leur meuf

il avait seize ans

en partant j’ai grondé

c’était trop lourd je ne voulais pas être cette petite chose fragile à la merci des hommes

je me souviens de moi

qui ai pensé mot pour mot

peut-être alors que je ne suis pas une femme

j’avais dix-sept ans

et pourtant j’ai compris

j’étais pas le problème j’étais pas un problème les hommes oui

je me souviens d’une amie à la fac

qui m’a dit mot pour mot

j’aurai toujours peur des hommes

on avait dix-huit ans

et on a pleuré

avec l’impression qu’on luttait pour rien

qu’on aurait toujours la boule au ventre le cœur serré

que les larmes ne cesseront jamais de couler

je me souviens des hommes de ma vie

qui m’ont tour à tour terrifiée énervée enragée fait pleurer

je me souviens avoir eu les larmes qui montaient lorsqu’un homme criait

je me souviens avoir subi en silence les envies d’un homme qui n’étaient pas partagées

je me souviens de la colère de devoir subir leurs regards et leurs paroles et leurs actes

je ne voulais plus être une femme

aujourd’hui

je suis une femme

et je n’ai plus peur de toi

homme

crie tant que tu veux bonhomme parle aussi fort que tu veux menace-moi de tes poings de tes yeux de ton sexe je m’en fous la lutte continue elle est partout le combat fait rage tu es déjà perdu tu nous as sous-estimées malmenées torturées de ta voix de tes bras de ta bite de tes rires méchants et tes lois injustes tu pensais nous avoir matées mais nos voix s’élèvent

nos cris résonnent les femmes n’ont plus peur des hommes

prépare-toi

on te regarde maintenant

à ton tour d’avoir peur

 

 

Sarah Hassenforder propose une réflexion poétique autour du questionnement et de la (dé)construction de son identité de genre en exposant son expérience de femme dans un monde normé et patriarcal. Retrouvez tous ses écrits sur son site.

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Gilles
2 ans

Bonjour Sarah, félicitations pour ce texte qui porte une voix douloureuse et blessée, et qui touche à ce sentiment d’incompréhension.… Lire la suite »

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